mercredi 23 février 2011

L'impatience grandit à Tunis

Les Tunisiens sont partagés aujourd'hui entre le soulagement et le désenchantement. Soulagement lorsqu'ils voient la boucherie en Libye. Au moins, Khadafi, grand ami des Ben Ali (via les deux gendres Chiboub et Materi, dont la mère organisait de joyeuses fêtes pour le Colonel où elle dansait sur la table)  n'a pas mis sa perversité sanguinaire à déstabiliser la Tunisie, comme beaucoup, ici, le craignaient. "Au moin, Ben Ali, lui était lâche, il est parti, on a évité le pire", explique-ton ici.

Mais le désenchantement est aussi très perceptible. Pendant toute la journée, la jeunesse qui a renversé le régime conspue, place de la Kasbah, où se trouve le siège du gouvernement, les nouveaux dirigeants et ex benalistes, le Premier ministre Ghannouchi et le Président intérimaire (actionnaire du principal cabinet d'avocats gérant les privatisations sous Ben Ali), tous deux étrangement absents. Et pour cause, ils ont été complices, au moins par abstention, de toute la politique précédente et ils n'ont pas l'arbitrage final. Lequel appartient, en ultime recours,  aux chefs de l'Armée, notamment le fameux général Ammar, dont le bureau se trouve au Ministère de l'Intérieur.

Mais la réalité appartient toujours aux réseaux financiers et maffieux, mis en place par Ben Ali, mais qui au jour le jour, prennent dans l'ombre les décisions et maintiennent cette main basse sur la Tunisie que dans la Régente de Carthage nous avions tenté, avec Catherine Graciet, de dénoncer. 
Aucune épuration à ce stade, ce qui inquiète au plus haut point les avocats, syndicalistes, universitaires et simples citoyens qui ont renversé le régime. Et si la Révolution était à venir?

Dans le collimateur, se trouvent les familles et les hommes proches de Ben Ali avant son mariage avec Leila et qui lui sont restés fidèles, même si la régente avait tenté de les écarter. Au delà de ces clans familiaux, se trouvent des centaines de milliers de militants du RCT, successeur du Destour, le parti au pouvoir pendant un demi siècle. Le fonds de commerce du Benalisme continue à bien fonctionner, avec le discret soutien du Président intérimaire et du Premier ministre, issus eux aussi de cette technostructure benaliste.`D' où sans doute ce complet black out sur l'état semi comateux de l'ancien président réfugié à Djedda. Il ne faut pas toucher à l'image de cette figure tutélaire qui, en un sens et via ses anciens partisans, rêgne dans la Tunisie thermidorienne. Pour le meilleur, puisque ces arrangements permettent à la Tunisie de vivre l'étape actuelle dans le calme, sinon la sérénité. Pour le pire, si l'on considère que les Tunisiens n'ont pas voulu seulement chassé Ben Ali et sa régente, mais un système assez généralisé de prébendes et de coruption

Un cas symbolise ,plus que tout, l'inertie de la situation à Tunis, celui de Marouan Mabrouk, un gendre de Ben Ali qui avait épousé Cyrine, une des trois filles du premier mariage. Sa situation est d'autant plus intéressante qu'il a toujours été très proche des Français. beaucoup des membres de son clan possèdent la double nationalité et lui même des biens à Paris. 

Or Mabrouk, qui explique qu'il est en instance de divorce avec son épouse depuis un an, continue à gérer les biens mal acquis sous le rêgne du beau père. Il possède en effet des participations dans d'innombrables affaires: orange, Le Moteur (Fiat et Mercedes, la BIAT, la GAT,Géant et Monoprix le Golfe d'Hammamet. Sans parler des ses innombrables biens immobiliers dont j'ai pu visionner la lsiste qui sera publiée prochainement sur ce blog. Autant de biens acquis avec les procédés du régime précédent.

A cet égard, la parole qui s'est libérée en Tunisie raconte des situations totalement hallucinantes, de type véritablement maffieux. Nous qui dans "la régente de Carthage" avions écrit que la Tunisie des Trabelsi, c'était beaucoup plus que du simple affairisme, mais pas encore une maffia, où l'on tue et emprisonne le concurrent économique, nous étions très en deça de la réalité tunisienne vécue par les dissidents. 

Situation cocasse, une commisssion officielle s'occupe bien de la chasse à la corruption. Mais elle a été nommée l'avant veille de son départ par Ben Ali lui même et son président est un de ces professeurs de droit public qui a couvert tous les arrangements de l'ancien régime avec la loi. L'après Révolution tunisienne tourne parfois à la mascarade. Les administrateurs judiciares chargés de gérer les biens du clan Trabelsi sont la plupart des hommes de Ben Ali. 

Les mêmes directeurs généraux gèrent les sociétés acquises par favoritisme: la société de céramique, Plastex, la joint venture créée avec Havas, ces derniers mois, qui gère le budget de communiation de Havas. Autant de marchés passés de gré à gré, n'est ce pas Jaques Séguéla?

A une équipe de télévision qui cherchait à interroger Mabrouk, la directrice de la communication a eu cette réponse: "Ses explications, il es doit d'abord au peuple tunisien". Le temps presse, monsieur Mabrouk et l'impatience grandit. 

On sent confusément que seul le traumatisme causé par les images venues de Tripoli empèchent les conflits depuis le départ de Ben Ali de devenir plus violents. L'insatisfaction est partout, les hôtels vides et le navire gouvernemental n'est pas gouverné. Sur fond de grèves et de frustrations économiques qu'exploite fatalement et intelligemment le courant islamiste. Sur les quelque vingt cinq demandes de création de nouveaux partis, au moins les deux tiers sont proches de cette mouvance fondamentaliste qui a subi le pire de la répression organisée par les sbires de Ben Ali (et non pas de Leila, faut-il le répéter, qui se contentait, si l'on peut dire d'utiliser l'appareil sécuritaire pour forcer la main de ses concurrents sur le terrain économique et financier)

En Tunisie, l'impatience grandit.