Entres les manifestations près du stade d'El Mannar en faveur du nouveau gouvernement, les heurts qui se poursuivent entre les supplétifs de la police ( impossible de savoir quel est leur statut) et les jeunes, les dissensions entre avocats et UGTT au sein du Conseil de a révolution, l'adoption d'un décret loi confisquant les biens d'une grosse centaine d'amis du régime Ben Ali et de ses clans quasi maffieux, la recherche d'hommes neufs par un Premier ministre de 85 ans, le commissariats et sièges du RCD incendiés dans les villes de l'Intérieur, l'arrivée de touristes égyptiens et japonais dans les hôtes désertés de Djerba, la Tunisie cherche un deuxième souffle. Sur fond de difficultés économiques grandissantes, dans une "agora" générale, qui s'étend de la maison du Barreau, fer de lance de la Révolution, aux pages facebook, qui rythment toujours l'actualité à Tunis .
"On s'y perd un peu", admet une intellectuelle tunisienne. Merci aux internautes qui m'incitent à une certaine prudence. Personne aujourd'hui ne peut dire où va la Tunisie.
Une certitude, la recomposition du paysage politique n'est pas nette pour l'instant. Les alliances de circonstance se multiplient. Une majorité des amis rencontrés, universitaires, avocats, journalistes ou syndicalistes, plaide pour un régime parlementaire. Seul souci, quarante deux partis ont déja demandé à être légalisés, cela fait beaucoup. Personne n'incarne plus le pouvoir. La Tunisie est un forum ivre de sa dignité retrouvée, après vingt trois ans d'humiliations.
Hier soir, grandes retrouvailles avec la grande Radhia Nasraoui et Hamma Hammami, le leader du PCOT, le parti d'extrême gauche tunisien? Je fais enfin la connaissance de Sarah, leur troisième fille, dont la naissance il y a onze ans, alors que Hammah était dans la clandestinité, avait été un formidable pied de nez à la police du régime. Sarah est forcément sur Facebook et vit, heure après heure, les événements.
Fatiguée masi heureuse, Radhia continue à se battre pour le respect des droits des détenus, islamistes compris Son propos est toujours fort, net, sans fioritures. Un islamiste à la sortie de la prison refuse de lui serrer la main, coran oblige? La télé française l'interroge; "Vous le défendrez encore?". "Bien sûr, que je le défendrai toujours. C'est son affaire qu'il ne veuille pas serrer la main à une femme, pas la mienne".
Nadhia a compté ses amis dan le combat mené avec Hamma, elle en avait beaucoup. Mais aujourd'hui Bertrand Delanoé ne compte pas parmi eux. "Il y a quinze ans, un avocat de Tunis m'avait dit que Delanoé souhaitait me rencontrer, mais discrètement. j'ai évidemment refusé. Son soutien n'avait pas à être discret". Ce qu'il n'a pas été, l'ami Bertrand, lorsqu'en rencontrant Nadhai récemment, il s'est quasiment jeté dans ses bras, ostensiblement. Le maire de Paris, très défendu par la Ligue des droits de l'homme, qui a toujours été reçue et écoutée à la Mairie de Paris, a multiplié les rencontres avec les démocrates ces derniers jours. N'en a -t-il pas fait trop?
Lors des manifestations de ces derniers jours, Radhia a été entourée par une vingtaine de flis. Tous veulent créer un syndicat, se refaire une virginité. "C'est vous ou Hamma qui devriez devenir ministre de l'Intérieur, vous l'avez beaucoup fréquenté le ministère, vous le connaissez bien"? Quelle formidable capacité d'humour montrent les Tunisiens! Ce peuple aime blaguer, rire. Ce qu'il a du souffrir face au régime paranoiaque de Ben Ali qui lui imposait jusqu'à la couleur violette, la couleur du régime, sur les barrières et autres batiments publics.
Le téléphone sonne, c'est le batonnier. Rhadia pourra récupérer son ordinateur et son appareil photo, saisis lorsque la police politique est venue arrèter Hamma le 12 janvier à son domicile en l'enlevant brutalement. On avait craint pour sa vie. Or, cette fois, il ne sera pas torturé, juste incité à promettre qu'il restera tranquille. Ce qu'il ne va pas faire: "je n'ai aps peur, j'aime ma femme, je ne cherche pas l'argent: ils ne pouvaient rien sur moi".
Hamma avait moins de vingt ans lorsqu'il est arrèté en 1972 par les flics de Bourguiba, qui n'était pas un saint, il fait le rappeler. "Que cherches-tu", demandent les flics. "La démocratie", répond-il. Ils l'emmènent alors à "la salle d'opération", le nom qu'ils donnent à la salle de tortute. Ils déversent un sac de batons, fouets et autres instruments de torture devant lui: "Tu es démocrate, et bien choisis".
Lorsqu'après vingt jours de sévices, il sort du ministère de l'Intérieur, Hamma remonte l'avenue Bourguiba, les larmes aux yeux. "Je pensais, nous avons perdu notre dignité". Et il ajoute:
"J'avais trouvé une nouvelle identité, la dignité".
Hamma et Radhia disent qu'ils aspirent désormais à se reposer. on ne les croit pas. Rhadia s'appète à partir pour le 8 mars à Caracas. Hamma court d'une chaine de télévision à une réunion militante, sans s'accorder une minute
Quelle belle leçon de courage, de dignité et d'humanité! Merci à vous deux et à vos trois filles.