Trois morts et douze blessés pour la seule journée d'hier, tel est le bilan du Ministère de l'Intérieur tunisien. Sans même parler de l'étrange suicide d'un officier, qui pourrait bien être un assassinat.
Ce matin dimanche, l'avenue Bourguiba, où des casseurs ont à nouveau sévi dans la nuit sans que la police n'intervienne vraiment, est fermé aux voitures, mais aussi aux passants. Le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, conspué par 100000 manifestants vendredi, est muré dans son silence. Il semblerait qu'il ne réside même plus au Premier Ministère, mais au Palais de Carthage, sécurité oblige.
Pour avoir assisté aux heurts, dimanche après midi, je peux dire que notre regrettée ministre, Mam, qui avait proposé l'aide de la France en matière de maintien de l'ordre, aurait eu quelques difficultés à mettre cette proposition en pratique. On voit en effet des supplétifs de la police, jeunes et en tennis, armés de longues lattes de bois, frapper méthodiquement et violemment, les jeunes manifestants et les traquer dans les halls d'immeuble. Pour peu qu'un portable soit aperçu, et immédiatement les nervis le fracassent, de peur des photos. Saluons au passage le courage d'une équipe d'Envoyé Spécial qui a filmé les heurts sans ciller..
Il est difficile de cerner exactement le profil de cette force d'appoint mal définie, qui n'a rien à voir avec les RG en civil qui en France, coursent les casseurs après les manifestations. Là, ils coursent et frappent les manifestants, avant tout jet de pierres de ces derniers. C'est l' application du principe de précaution au Royaume de Ben Ali-Ubu.
Apparemment, Ben Ali le sécuritaire avait multiplié les statuts dans la police, créant des milices parallèles, qui ne dépendaient que du fameux général Seriati, qui a tenté de semer le trouble dans Tunis après le départ du Président déchu. Cela fait penser au célèbre Service d'Action Civique de Charles Pasqua, grand ami du régime: des nervis qui ont prospéré à l'ombre de l'Etat tunisien protecteur, ceux là même
Le week end avait pourtant bien commencé, vendredi, par la visite guidée de bien belles ruines à Carthage: celles du Palais d'Imed Trabelsi, une espèce de bloc de béton illégalement construit sur cinq niveaux face aux superbes restes du site antique. "Vous la connaissez ma tante". C'est ainsi qu'Imed, le neveu préféré de Leila Trabelsi, se présentait à ses interlocuteurs. C'est lui qui devait être mis en examen par un juge d'Ajaccio, le 29 mai 2009, pour le vol du yacht d'un banquier français et grand ami de Chirac, Bruno Roger. Il ne sera jamais jugé grâce aux complicités françaises.
Par hasard, j'ai rencontré, la semaine dernière, un petit patron français que les Trabelsi avaient entièrement spolié avant de l'envoyer pour trois ans en prison sans jugement. Or ce dernier a partagé la même cellule que Naouffel, l'homme de mains d'Imed qui sera condamné à sa place dans l'affaire des yachts.
Et bien, parait-il, lorsque le juge d'instruction d'Ajaccio avait obtenu l'autorisation tout de même de venir interroger Imed à Tunis, c'est Naouffel et non Imed qu'il verra. On lui fera croire qu'il s'agissait du neveu de la Présidente. Pendant ce temps là, Imed rachetait Bricorama dans des conditions totalement dérogatoires du droit commun et devenait le maire de La Goulette, charmante commune entre carthage et Tunis où vécut une grande partie de la communauté juive tunisienne et qui ne méritait pas cela
Un trou béant dans le grillage qui protège la propriété d'Imed m'a permis de pénétrer dans les lieux. Et dans d'immenses pièces magnifiques, donnant et sur la mer et sur les ruines, un spectacle de désolation: tout a été saccagé, le moindre morceau de marbre explosé. Ne restent au milieu des gravats que quelques notes d'hôtel du Lafayette à Paris, des magazines comme Jeune Afrique, journal bien en cour à l'époque qui vante désormais l'élan révolutionnaire tunisien dans des panneaux publicitaires au coeur de Tunis, et aussi Télé 7 jours, l'Equipe.
Le saccage a été fait très vite après le 14 janvier, méthodique, afin de ne laisser aucune trace. Les fameux miliciens du RCD de Ben Ali ont bien travaillé. Je vais récupérer tout de même quelques photos du neveu préféré et voleur de yacht, bien gominé, au milieu de créatures appétissantes et bien en chair. Sur d'autres clichés, on le découvre aussi, radieux, en train de piloter le yacht du banquier français. C'et lui qui, la bouille rondouillarde et le verbe peu distingué, déclarait lorsqu'il se trouvait aux commandes de son superbe jouet: "J'ai eu des ferrari, des limousines, mais même ma femme ne me fait pas bander comme ce bateau". Elégant!!!
Imed Trabelsi, le matelot, symbolisait mieux que quiconque la République bannanière qu'était devenue ces dernières années la Tunisie.