« La Régente de Carthage », une prémonition vérifiée
par Ahmed Saifi Benziane
Plus qu'un simple ouvrage politique « La Régente de Carthage », est un véritable plaidoyer des raisons qui ont précipité la chute du régime Ben Ali. Nicolas Beau et Catherine Graciet mettent à nu un régime tribal et corrompu dans ce livre de 174 pages publié aux éditions « La Découverte » en octobre 2009. Une sorte de prémonition de ce qui allait suivre. Le professionnalisme des auteurs, journalistes et écrivains leur a facilité la prospection à travers les écrits et les témoignages qui démontrent comment un pouvoir confisqué, une indépendance vidée de son sens se sont transformés en manne financière au seul bénéfice de quelques familles organisées en toile d'araignée. Au centre de cette toile une femme, Leila Trabelsi seconde épouse du Président agit en chef d'orchestre avec pour seule partition l'enrichissement illicite. Usant de stratagèmes où la loi ne sert qu'à s'accaparer des biens d'autrui, usant de son charme plastique pour affaiblir un mari consentant et condamné par la maladie, cette coiffeuse des faubourgs de Tunis se révèle fine manipulatrice des alliances familiales pour repousser la limite de la morale. Tout y passe. Les mariages contre-nature, les complots, les vols, les pressions, les incarcérations voire les agressions contre tout opposant à ses intérêts et à ceux de sa « famille ». L'argent sale jaillit de ce livre comme un vomissement. La France officielle y est impliquée pour avoir consenti à faire passer la raison d'Etat avant la démocratie et les relations politiques basée sur la clairvoyance. Pour avoir fait fi de l'opinion publique pourtant hostile aux dérives tunisiennes. La main basse des clans immédiats ou périphériques du palais de Carthage dominé par les Trabelsi sur tout ce qui rapporte un dinar tunisien, démontre la nature exacte du régime né du « coup d'Etat médical » contre Bourguiba. Il y a 24 ans déjà. Un régime familial qui se cachait derrière la modernité où le statut de la femme figure en bonne place comme rempart contre la montée d'un islamisme rampant. L'ascension de Ben Ali est décrite dans « La Régente de Carthage » comme un processus contraire à l'esprit du Néodoustour loin de la morale imposée par les processus d'indépendance au Maghreb. Son épouse n'a fait que prendre le relais dans la pure tradition maffieuse avec l'élégance en moins. On peut lire à la page 56 « Leila Ben Ali dispose de plus de pouvoir réel que le Premier ministre. Elle peut faire et défaire le gouvernement, nommer ou limoger ministres, ambassadeurs, P-DG quand bon lui semble. Elle peut enrichir, appauvrir, faire emprisonner ou limoger qui elle veut quand elle le décide ». Mais déjà à la veille de la « révolution du jasmin » les auteurs préviennent : « A la veille de la cinquième élection consécutive de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie semblait en apesanteur. Mais, subrepticement les lignes ont bougé tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. » Et de conclure « mais plus Elena Ceausescu qu'Eva Perón, Leila Ben Ali, si elle parvenait à ses fins avec son clan, ferait alors basculer le pays du statut peu enviable de dictature à celui de régime maffieux, qui n'aurait plus rien à envier aux pires républiques bananières. La Tunisie ne mérite pas cela ! » Le sort en a voulu autrement et les mirages ont laissé place aux rêves d'un peuple qui a parfumé le Maghreb et les pays arabes des senteurs de son jasmin. En ce sens Beau et Graciet ont offert leurs concours à l'éclairage de l'opinion publique sur les exactions d'un régime honni par son peuple. La tentative de retirer ce livre de la vente par « la coiffeuse de Carthage » s'est soldée par un échec.